De Wazemmes à Wazemmes
Tandis que la vague yéyé déferlait dans les transistors, quelques rares souches résistantes inspirées par Brassens, Aznavour et autre Django se cherchaient encore un avenir à Lille. Wazemmes, en ce temps là, accrochait ses lilas jusqu’à quelques fenêtres que nous n’habitions pas.
Car le Retour de la chasse (bientôt Orée du marché, puis La Réserve) et le temple désaffecté qui lui faisait face1, constituaient une barrière que les jeunes gens propres et en bonne santé ne franchissaient que le dimanche matin, afin de rejoindre le marché.
C’est très précisément à cet endroit que sévissait, chaque dimanche, dans les années 1950-1960, un accordéoniste que l’on surnommait Cenefu. Ce sobriquet faisait référence à l’un de ses succès, dont il vendait le « petit format », intitulé Griserie. Une scie à trois temps, déjà exploitée par Django avant guerre : « Ce ne fut, qu’un instant de folie… »
Personne n’imaginait que la filature Leclerc, toute proche, deviendrait un demi-siècle plus tard, le lieu de cette folie. Les jours de semaine, la rue des Sarrazins — dont on fréquentait parfois, tout de même, les bains douches —, la rue Jules Guesde, étrangère alors à tout exotisme commercial, la place de La Nouvelle Aventure, non goudronnée, étaient peuplées par les ouvriers, futurs chômeurs des usines textiles voisines. Le quotidien de cette communauté besogneuse n’était troublée que par les règlements de compte entre combattants autonomistes algériens.
De ce temps des copains chanté par Françoise, que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître, n’a survécu que Gérard Buisine. Lequel Buisine, aujourd’hui dinosaure et prophète de La Bande à Paulo, doit sans doute sa longévité au fait qu’il ne chantait pas encore. Les autres ont mal tourné. Quelques uns cassèrent leur clarinette. Et, désertant les zincs, la musique redevint ce qu’elle n’avait d’ailleurs jamais cessé d’être, une respiration continue, un battement permanent, peu perceptible et pour ainsi dire naturel. Noyée sous un flot d’évènements incontrôlés quoique trop prévisibles.
Les marchands de limonade n’y virent que du feu. Et les thuriféraires de Lille 2004 — capitale de la culture — s’évertuèrent à montrer une certaine continuité entre l’esprit du Wazemmes que nous aimâmes et celui que nous aimons parfois encore.
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À l’emplacement de la sortie du Métro Gambetta, cet édifice (temple ou église) avait été transformé en salle d’entraînement par le Boxing club des Flandres. ↩
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