Skip to content

L’idée libre

par Guy Ciancia le 5 mai 2012

Après une parentaise plus longue que celle de Paul Valéry — faut c’ qu’i faut ! —, je ne pouvais décemment pas renier mes œuvres de jeunesse, sauf à leur opposer celles d’aujourd’hui, déjà marquées par la sénescence. J’ai longtemps et assez illusoirement, considéré la chanson comme un instrument de combat. Un an ou deux avant les barricades de 1968 — plus efficaces ? —, j’expérimentais le tract parodique, provocantepunk et métamilitant. Du coup, lorsque je chantais « dans le poste », on m’interdisait quasiment l’ensemble de mon répertoire. Si l’ bon Dieu et autre Curé à bicyclette étaient réservées à la consommation des ecclésiastiques, installés ou non, Insolation plusieurs fois diffusée à la télé devint le seul « tube » applaudi par Guy Lux et Roger Lanzac. Edouard Rombaut et Jean-Pierre Panir me permirent tout de même, en 1966, d’interpréter Chanson sociale dans leur émission Farandole chez les jeunes. Mes chansons anticléricales étaient arrivées jusqu’aux oneilles d’un typographe dunkerquois, Jean Mouchel, qui en publia les paroles dans

L’idée libre, ce sympathique bulletin des bouffeurs de curés. Mon nom y côtoyait ceux de Lorulot1, Paraf Javal, Sebastien Faure et autres anars légendaires. Papillon en couleur représentant les différentes "calottes" Dans l’attente de Mai 68, j’écrivais aussi quelques rengaines faussement sentimentales sur le mode du détournement. Je les interprétais alors, avec la complicité d’une bonne partie du public. Aujourd’hui, elles sont prises pour argent comptant : les charges qui faisaient jadis sourire, mettent, à présent, la larme à l’œil de mes jeunes contemporains — même ceux qui ont vieilli —. L’Histoire avec ses grandes haches — comme la Science avec sa grande scie — aurait-elle perdu le sens de l’Umour et ses petites dents ? Le progrès des techniques, l’évolution des sensibilités, de la morale et du marketing ont bousculé les repères et les hiérarchies. Si le comble de l’ignominie fut un temps de « faire dans le commercial », la révolution des mœurs interdit, désormais, de ne pas faire dans la nouveauté. Tout le monde feint d’ignorer que les avant-gardes évaporées ont été recyclées dans un business bien conventionnel. On apprend certes à l’école que les artistes sont toujours en avant. Pourtant, le plus intéressant est bien souvent d’être derrière ou sur le côté. La chanson appartient à ce passé collectif vivant, périodiquement ripoliné, mais en fin de compte étonnamment immuable. Le mépris et la méconnaissance des règles, le laisser-faire, ne permettent d’échapper ni à la tradition ni aux exigences économiques. Bien au contraire. Libéraux aujourd’hui, mais bien organisés, ceux-ci ne s’opposent à Rien. Il n’y a pas de contrepied à un système bien assis.


  1. Cet anarchiste s’opposa avec ténacité aux thèses de Jean-Pierre Brisset qui voyait, dans la grenouille, l’ancêtre de l’homme. Lorulot avançait, plus raisonnablement, que Homo sapiens descendait de la baleine (voir Les Cahiers de l’Institut, 2008, n° 1, p. 33).  

Les commentaires sont fermés.