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Dérive à Fives

par Guy Ciancia le 12 avril 2018

Du temps des cerises à la rue du Jambon

Nos vies seraient-elles en impasse ?
Pour reconstruir’ faut-i qu’on casse
Les souvenirs et les illusions ?
Il n’en reste que des chansons.

À partir de la gare Lille-Europe, des centaines de TGV rejoignent chaque jour Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam… Les disproportions de ce hub européen sont à la mesure des ambitions et réalisations planétaires du XXIe siècle. À quelques pas du cœur historique de la ville, cet édifice est entouré d’un complexe architectural qui comprend le centre commercial Euralille, le casino Barrière, le Crowne Plaza… le Grand Palais avec son parc des expositions et son Zénith Arena. Avancée définitive d’un urbanisme agressif qui gagne et écrase déjà le quartier populaire de Fives, rattaché à Lille depuis 1858. La Compagnie de Fives-Lille, exceptionnel pôle industriel, devenue Fives-Cail-Babcock a fermé définitivement ses portes en 2001. Elle laissait derrière elle 25 hectares de friche, des décors inchangés et plus d’un siècle de mémoire ouvrière. On y avait fabriqué plusieurs milliers de locomotives. Mais aussi des ouvrages métalliques d’envergure : des ponts ferroviaires, un ascenseur pour la tour Eiffel, des charpentes de grandes gares…

rue du Jambon 2013001 copie

Victime immédiate de la prestigieuse déferlante engendrée par Lille-Europe, Fives s’enfonce peu à peu dans les profondeurs de l’ombre. Ombre, rappelle Pierre Mac Orlan, « dont les lampes de la publicité ne dissipent pas les arrières-pensées ». Les 8500 voyageurs quotidiens qui transitent par Lille-Europe ignorent sa face cachée. De multiples frontières séparent l’exotisme du voyage romantique ou commercial. Enchevêtrements de rails de chemin de fer et de tronçons du périphérique, ourlés par les étroites rues de Belle Vue ou de la Chaude Rivière. Celle-là, plus spécialement dévolue aux campements toujours provisoires… de Roms ou de gens du voyage.

Fives, c’est donc ailleurs. Et ailleurs, c’est en l’occurrence autrefois. Dans un temps toujours balisé par de petites maisons basses, jadis peuplées d’ouvriers de la métallurgie, mais aussi du textile. Pendant ses années laborieuses, Fives, dit-on, comptait autant de bistrots que d’habitants. L’un de ces cabarets a donné son nom au sentier qui y conduisait et deviendrait l’actuelle rue du Jambon. Ce chemin permettait de rejoindre celui du Petit Paris, bientôt englobé dans les terrains du chemin de fer. Au début du XXe siècle, la rue du Jambon fut amputée d’une bonne moitié. Elle mesure à peine aujourd’hui plus de 50 mètres. Les habitations qui la bordent ont été en partie réhabilitées et les services de la voirie n’en permettent désormais la fréquentation qu’aux riverains. Des chicanes ont été installées afin d’y ralentir la circulation. Des immeubles récents la défient. On les atteint par la rue Frémy qui lui est parallèle.


Tout près de la rue du Jambon

Rue du Jambon - 2014


Il y a plus de quinze ans que la rue du Jambon a attiré mon attention. Cette découverte venait, pour moi, en écho au Petit manuel du parfait aventurier de Mac Orlan. Et à ses Chansons pour accordéon, interprétées par Germaine Montero.

Au temps des cerises, j’avais connu quelques insoumis qui venaient en manger, parfois une poignée, dans la rue Guillaume Werniers voisine.

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